AccueilEn photoGueule d’Ange – Numéro 24 – Yannick Cormier
Retour

En photo Publié le 24 juillet 2015

Gueule d’Ange – Numéro 24 – Yannick Cormier

Téléphoner à Yannick Cormier est déjà une invitation au voyage.


Votre appel résonne jusqu’en Inde, au sud de Chennai, en bord de mer, dans une maison que l’on imagine fragile et ancestrale. Les sonneries se prolongent, l’imaginaire s’installe, avant que la voix de Yannick Cormier, toute proche et nette, vous précipite dans l’immédiat parisien.  L’interview est agréable, l’attention portée à chaque questionnement génère calme et lenteur. L’intérêt s’insinue aussi bien sur la pratique photographique que sur la relation à l’Inde. Quart d’heure évasion…


Du studio au reportage



Quand on veut en savoir plus sur les éléments et expériences qui ont déclenché la passion, on sent une hésitation, comme gêné de ne pas avoir été séduit plus tôt par le media qui aujourd’hui l’occupe entièrement et passionnément.

« Même si j’ai été très tôt intéressé par les arts visuels, plutôt cinéma et peinture, c’est seulement à l’âge de 24 ans, après des études d’électronique et de multiples petits boulots, que j’ai acheté mon premier appareil photo, un Nikon. Dès lors, je n’ai eu de cesse de photographier. Mon premier reportage fut sur le quartier de Belleville, plus précisément ses murs peints, ses rues, ses habitants. Je voulais témoigner de mon environnement proche. » D’emblée se sont les gens qui l’intéressent, mais la photo n’est pas un succédané, elle suffit à son épanouissement, qu’elle soit de reportage, abstraite ou onirique.

« J’ai tout de suite su que j’avais trouvé ma voie, que ma vie était là. » 



Pour acquérir les bases techniques, il suit des cours dans une école photo parisienne et travaille de 2001 à 2003 au Studio Astre, comme assistant. C’est au contact de photographes tel que William Klein ou Paolo Roversi qu’il apprend son métier, mais le studio n’entre pas dans son univers. Le plaisir de photographier, il le trouve le week-end dans les rues de son quartier, en noir et blanc et au format carré. Il développe ses films, réalise ses tirages sous l’agrandisseur. Sa photographie personnelle finit par prendre le pas sur l’image en studio et dès 2003, il choisit le reportage. Il sera photographe correspondant de l’agence Wostok Press, avant de créer en 2007 le collectif Trikaya Photos.


 

L’Inde

Une histoire de coup de foudre



Envoyé en Inde par Wostok press pour une année, fin 2003, Yannick Cormier reçoit un choc tant visuel qu’émotionnel. En une demi-heure sa vie bascule, ses choix de vie s’ébranlent. « Une demi-heure, c’est le temps qu’a pris le taxi pour rejoindre l’hôtel depuis l’aéroport. J’ai reçu toute l’Inde, monde d’une incroyable densité, au visage et à l’estomac. La plupart de ceux qui visitent l’Inde pour la première fois reçoivent un choc ; pour moi ce fut un véritable coup de foudre ; j’ai tout de suite su que j’étais arrivé chez moi… ». Il y reste une année pour Wostok, puis y retourne, avec des allers-retours réguliers vers la France, avant de créer, en 2007, avec des amis photographes indiens Trikaya Photos ; un collectif aujourd’hui composé de trois membres et trois photographes distribués, intervenant sur l’Inde et plus largement sur l’Asie. Il vit depuis près de 4 ans à Chennai, anciennement nommée Madras.


 

Témoignage esthétique des traditions de l’Inde



Yannick Cormier aborde les sujets anthropologiques et sociaux de l’Inde traditionnelle. Au-delà du boom économique et de l’image prospère de l’Inde moderne, il cherche à témoigner, d’une manière esthétique et sensible, de la tradition, de la genèse d’un pays destiné à régner sur le monde.

Pour Wostok, il a couvert le World Social Forum à Bombay et a réalisé son premier grand sujet sur les tribus de la vallée de la Narmada, les adivasis. Au fil des années, des rencontres et des voyages dans les différentes régions de l’Inde, sa connaissance du pays s’affine et son travail photographique prend une orientation principalement anthropologique et sociale.

« Je montre les oubliés du miracle économique indien qui sont majoritaires et forment différentes communautés. Ils essaient de faire perdurer leurs rites et traditions. La culture des basses castes ou des pré aryens de tradition Shivaïte constitue la grande majorité de la population ; ce sont des civilisations parallèles considérées comme inférieures par les autres castes ou communautés »

Ses plus récents sujets prennent leur source dans « les bas fonds » des villes , auprès des Sannyasis et des soufis, freaks, prostituées et toxicomanes, ils sont aussi plus anthropologiques à la rencontre des transsexuelles (Aravanis), des gitans (Kuravas), plus actuels et politiques en appréhendant le conflit au Cachemire.

Son prochain sujet sera consacré aux sidhis, les descendants d’esclaves africains, peuple afro-indien qui vit depuis le 17ème siècle en Inde, principalement dans l’état du Gujarat et à Mumbai.


 

Des expos et des livres



Yannick Cormier travaille principalement dans le domaine de la photographie d’auteur, il expose et vend ses tirages. La majeure partie de ses œuvres est au format carré et en noir et blanc. En 2012, une grande exposition sur la série intitulée Masquerade of the Gods. circulera dans toute l’Inde et une publication sur les Transgenders et Kurawas sont en préparation. Sur son site on découvre ces beaux noir et blanc au format carré, travaillés en laboratoire, mais aussi des 24×36, noir et blanc ou couleur, argentique et parfois numérique. Certains sujets imposent la couleur et les commandes pour la presse ne peuvent plus se passer de l’immédiateté du numérique.

Pour le noir et blanc, il utilise un Mamiya C220 doté d’un 65 mm et pour la couleur argentique deux Nikon FE et FM2 équipés d’objectifs à focale fixe allant du 24 mm au 50 mm. Pour les commandes, il choisit un Canon 5D Mark II. Côté film, c’est le Tri–X et le Portra VC qu’il va chercher à 2000 Km de chez lui !

« Je choisis le format 24×36 pour l’instant et la dynamique de la composition, mais je travaille de plus en plus dans le format carré qui permet une approche directe et posée, donne plus de place à la valeur intrinsèque du sujet. J’aime que mes photos questionnent plus quelles ne donnent des réponses. »


 

Un labo à Chennai et Négatif Plus à Paris

 

« Lors de mes passages en France, je fais développer mes Portra VC chez Négatif Plus. Je considère que c’est un très bon laboratoire, avec un rapport qualité/prix imbattable. Les films noir et blanc sont développés à Chennai, je les traite ensuite moi-même sous l’agrandisseur ou numériquement pour des impressions grand format. »

 

« Mon message est humaniste. La dignité de l’être humain est ce qui compte le plus. Pour moi, la photographie c’est un échange, dans un premier temps avec le sujet, puis avec le spectateur qui peut avoir sa propre interprétation. » 



Nils Sidsel


http://www.yannickcormier.com

 
 
Numéro : 24 Spécial Yannick Cormier
Janvier – Fevrier – Mars 2012


Lire en ligne
Télécharger
Gueule d'Ange 23                                                                                     Gueule d'Ange 25