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Actualité Publié le 27 mars 2019

FOCUS EXPO : Axel Perez

La série BIG – à corps ouvert s'est construite patiemment, dans une clinique dédiée au traitement de l'obésité. Avec l'implication des personnes en cure, le photographe Axel Perez a mis en scène leurs corps, des corps que l'on ne veut pas voir. Il en résulte un travail humain et perturbant, profondément nécessaire – tant pour les modèles que pour le photographe, et, surtout peut-être, pour les spectateurs…
Un travail à découvrir à partir du 28 mars à Pleine Ouverture.

 

Dans quel cadre vos tirages seront-ils exposés ?

Axel Perez : Ce sera dans mon studio, dans le 11ème arrondissement. Il s'appelle 'Pleine Ouverture', c'est comme une prédisposition à recevoir des travaux et des évènements : quand les murs sont vides, quand je n'ai pas de prise de vue, autant proposer à des artistes de tous bords, peintres, photographes, graphistes, de venir exposer. Et je me suis dit charité bien ordonnée commence par soi-même : ce sera l'occasion de montrer ce travail-là, sur lequel je me bats depuis deux ans maintenant, presque trois.

 

Pour aborder votre travail avec ces personnes obèses, qu’est-ce que le milieu hospitalier vous a concrètement permis ?

Axel Perez : Pouvoir travailler en clinique a été une chance. Le problème de fond est existant : l’obésité est une pathologie vraiment très compliquée pour ceux qui la vivent au quotidien. Ce sont des personnes qui ont tendance à être plutôt sédentaires, à rester cloitrées, par peur du regard de l'autre, à cause des problématiques liées au déplacement, des choses de cet ordre-là qui font qu'on ne les rencontre pas facilement. Et puis je pense que le fait qu'ils soient dans un processus thérapeutique correspond à l'envie, pour eux, de passer une étape. Et qu'ils se sont dits, pour certains en tous cas, 'ça peut faire partie de la thérapie', au même titre qu'une séance psy, qu'apprendre à manger en pesant ses aliments, que faire du sport ou réapprendre à marcher.

Il m'est rapidement apparu comme nécessaire que les spectateurs qui viennent voir l'exposition connaissent une partie de l'histoire des personnes que j'ai photographiées, ou la manière dont les prises de vues se sont passées. Monique Régnier, qui est psychothérapeute, a pris en charge la partie rédactionnelle de ce projet et a ainsi contacté ces patients pour les interviewer : leurs témoignages pourront être lus sur place, en attendant d'en faire un livre. Je pense que cette expo est avant tout humaine. C'est avant tout l'entrée dans un monde que peu de gens connaissent et il faut que les spectateurs puissent se sentir connectés autant aux images qu'ils vont découvrir qu'aux patients qui ont accepté de poser.

 

Comment avez-vous pu entamer ce projet ?

Axel Perez : Ça s'est fait de manière tout à fait fortuite… Je travaille dans le milieu médical depuis un peu plus de vingt ans maintenant, couvrant des séminaires de médecins, de sociétés savantes, des lancements de produits pharmaceutiques, etc. Tous les ans, je fais un reportage pour le même événement et, assez rapidement, je me suis dit qu'il fallait que je trouve quelque chose pour éviter la routine. J'ai donc fait sortir les médecins de l'espace symposium/tribune qui leur est familier, en faisant des portraits d'eux au sein de la maison de la chimie – un décor assez fabuleux, très années 40. Et lors d'une session, une médecin, Maëllis, originaire de Toulouse, a été très touchée par ma démarche – pourtant elle n'était pas du tout branchée photo ! Elle travaillait de temps en temps dans une clinique spécialisée dans l'obésité, adoptant une approche thérapeutique différente, refusant par exemple toute chirurgie. Elle m'a dit : « Je suis persuadée que ça pourrait être très intéressant que tu aies un contact avec les patients ». Elle en a parlé à son conseil d'administration, au directeur de la clinique, et voilà comme les choses se sont faites.

Chacune des parties avait bien entendu ses exigences. En ce qui me concerne, je voulais être sur place, vivre, habiter, dormir, manger sur place, je voulais devenir un patient, devenir gros. Il me fallait ça pour que je puisse comprendre qui je photographiais, comment j'allais les photographier et quel était le monde qu'on leur proposait.
 


Axel Perez - Big

Laurence, Elisabeth et Souad sont devenues amies. Elles m'ont proposé de faire les singes de la sagesse, mais je n'ai pas compris pourquoi et elles m'ont expliqué : l'obésité, on ne dit jamais rien dessus, on ne nous donne jamais la parole et on ne nous voit pas. Et là, ça m'a explosé dans la tête, ça a donné la direction de mon projet.


En quoi la photographie peut-elle leur permettre de se sentir mieux ? En leur permettant de reprendre prise sur leur image, de se reconnaître, d'exprimer leur ressenti ?

Axel Perez : Déjà, ce qui est marquant c'est qu'il y a deux façons de vivre la photographie, surtout dans le sujet que je propose ici : je les ai photographiés à une étape de leur travail sur eux-mêmes. Alors soit, deux ans après, ils ont grossi et ils peuvent se servir du cliché pour dire : « ah oui, j'étais bien comme ça » et en faire un point de référence, soit ils ont continué à maigrir, ont peut-être trouvé un poids de forme, et ils peuvent se dire « plus jamais ça » en regardant la photo. C'est très intéressant.

En tous cas je n'ai pas la prétention d'avoir un rôle de thérapeute, quel qu'il soit. Mon projet était basé sur deux axes : le premier était celui du reportage, sur la manière dont le personnel sur place s'occupe des patients. Dans cette clinique il y a une réelle humanité, bien plus présente que dans d'autres centres que j'ai pu connaitre. Il y a une vraie proximité entre le patient et le personnel hospitalier. Ça je l'ai compris le premier jour où je suis arrivé.
 

  Big - reportage


Le deuxième axe était de valoriser l'image du patient, de lui apprendre à s'aimer, s'apercevoir que l'image qu'il peut avoir de lui-même n'est pas forcément aussi mauvaise, négative qu'il n'y paraît. Certains d'entre eux avaient envie de se trouver beaux, on a donc fait des images qui les mettaient en valeur ; certains avaient plutôt besoin de revendiquer, d'exprimer leur ressenti, on a alors mis en place un système de métaphores. Pour d'autres encore ces séances en studio étaient des validations de passage d'étape : une des patientes est venue me voir, me demandant, de façon un peu timide, que je la photographie nue. Il n'y avait là aucun désir d'exhibitionnisme ou de séduction, elle était simplement parvenue à un stade où les choses avaient terriblement bien avancé pour elle, où elle avait besoin, à ce moment-là, de pouvoir se dire 'je vais me regarder en face'. J'ai trouvé sa démarche… super forte.

Honnêtement, pour chacun d'entre eux je pourrais parler de leur approche, parce que pour chacun d'entre eux ce fut toujours très différent, très humain, très touchant. J'ai présenté ce travail à la clinique : la salle d'exposition était entièrement cloisonnée, plongée dans le noir, les photos étaient recouvertes d'un drap. Les patients et les soignants arrivaient dans la salle, s'asseyaient, je leur projetais la partie reportage. Il n'y avait aucun bruit sauf celui du projecteur, l'ambiance était un peu pesante. Il fallait quelque chose de plus léger : alors j'allumais un spot, je découvrais une image et je commençais à raconter la séance photo, la personne, qui elle était, comment, pourquoi, etc. Et les deux premiers jours, c'était une catastrophe : je ne pouvais pas m'empêcher de pleurer. Ce n'était pas vraiment beaucoup plus léger !

Pour moi ce fut une expérience humaine d'une force que peu de gens peuvent s'imaginer. Quand je suis sorti de la clinique, après mon immersion, il m'a fallu trois semaines pour reprendre pied. Je redécouvrais mon monde en me disant : 'mais… vous êtes au courant qu'il existe ces choses ailleurs' ?

Alors cette exposition est très importante : je n'avais pas envie d'avoir fait ça pour rien, je n'avais pas envie qu'eux aient fait ça pour rien. J'avais envie de leur renvoyer la balle, de les rendre visibles, de pouvoir dire : ils existent, ils sont là. Je sais que pour certains d'entre eux c'est une autre partie de l'aide. Du fait de savoir qu'ils vont être exposés. J'ose espérer qu'au final ce travail leur aura apporté ça.

 

BIG – A Corps ouvert
Axel Perez

Pleine Ouverture
24 rue de Belfort
75011 Paris

Du 28 mars au 27 avril
Vernissage le 28 mars à partir de 19 h