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Actualité Publié le 21 février 2019

Focus expo : Brian Ravaux

Des images qui suintent les décibels et les embruns moites de la fosse : rares sont les photographes qui, comme Brian Ravaux, parviennent à saisir avec autant d'acuité la joie et l'énergie des concerts extrêmes de musiques extrêmes.
Rencontre avec l'auteur à l'occasion de son exposition au Dr Feelgood, à Paris, qui se clôturera le 28 février : décrochage en présence de l'artiste à partir de 18 h !

 

Comment avez-vous commencé ce travail ?

Brian Ravaux : Mon grand-père était un grand passionné de photo, et mon père un passionné de punk et de oï. J'ai eu mon premier reflex en 2007 ou 2008, un 350D. Par la force des choses j'ai été amené à remplacer un ami, Jean-Denis Giton, qui ne pouvait pas couvrir un concert d'Editors à la Cigale. Il faisait des photos pour le webzine Sound of Violence, spécialisé dans la musique anglaise, et Fabien, le rédac chef, m'a ensuite demandé si je ne voulais pas refaire des photos ; comme cela, de fil en aiguille, j'ai continué. C’était il y a plus de dix ans maintenant. Après cela j’ai travaillé pour ADN Sound, The Unchained aussi… avec ces medias, j'ai pu photographier des concerts qui me plaisaient. Sound of Violence c'était super parce qu’ils abordent toute la musique UK, aussi bien de la pop indé que du Tricky ou du Prodigy, un spectre musical très large, ce qui permet de s'ouvrir, de connaître des salles. Mais j’en faisais beaucoup, j’étais obligé de sortir très tôt du boulot pour être au premier rang, ne pas déranger tous les spectateurs. Sans compter que tu restes au final trois heures debout, sans aller boire une bière, sans rien faire, bloqué devant jusqu'à la tète d'affiche, sans pouvoir lâcher ta place parce que le public, souvent, dans ces genres de musiques, celles couvertes par les magazines, n’est pas très accommodant et ne te laissera jamais revenir au même endroit. Ils paient une place 50 euros pour regarder leur écran de téléphone et ne jamais regarder leurs vidéos par la suite…. Bref, à un certain moment c'est devenu contraignant – alors que c'est un "boulot" bénévole. J’ai donc préféré me concentrer sur des sons qui me plaisent, des musiques punks ou plus extrêmes, parce que les gens y sont à la cool et que les organisateurs comme Sick My Duck ou Wecare Booking me laissent vraiment libre de bosser.

 

The Casualties, Brian Ravaux

 

Vous n'avez jamais eu l'impression de 'passer à côté' des concerts que vous couvrez ? De perdre quelque chose de l'émotion du moment ?

Brian Ravaux : C'est un regard différent, effectivement. Sur le fond, je suis d’accord. Mais tu peux aussi aller plus loin que ton regard, littéralement : tu peux zoomer, tu peux vraiment voir autre chose. Et, surtout, chacun travaille comme il veut ; certains sont tout le temps l'oeil vissé à leur appareil, par exemple. Moi ce n'est pas trop mon cas. J'aime bien vivre le moment, regarder le groupe, les gens, les attitudes, et ensuite me concentrer. Je vis malgré tout le concert, je vis le truc, il faut être… dans le rythme. Pour saisir un moment spécial, un musicien qui saute, qui fait un beau mouvement, il faut être dedans, comprendre la musique, la vivre. Je pense par exemple à cette photo des Casualties, où le chanteur verse une pinte dans la bouche d'un mec : tu ne peux pas choisir de faire ça, tu ne peux pas lui dire de faire ça, c'est comme ça, tout simplement, ça arrive, et toi tu es dans la fosse juste au bon moment et tu shootes sans que ce soit flou. Voilà : t'es content. Si tu passes ton temps en rafale, c'est que tu n’as pas saisi quand il faut faire la photo !

Je me suis retrouvé dans des situations cocasses : je me rappelle d'un concert de Kvelertak au Divan du Monde, c'était complètement anarchique. Deux des guitaristes slammaient en jouant, les autres montaient sur les retours… J'ai fait cette photo du chanteur en contre-plongée, et tandis que j'essayais de prendre le public dans la fosse, peu après, et il m'est tombé dessus. Je ne le regardais plus du tout, et il me slamme dessus. Je me suis pris son gros pied dans le visage. C'est comme ça : chaque concert a sa particularité. Et j'espère qu'en regardant chacune de mes photos je me dirai qu'il s'est passé un truc.

 

Brian Ravaux

 

Vous faites aussi des photos de groupe plus posées…

Il y en a à mon exposition. La plupart ont été faites pour Dr Martens, mais je me dirige naturellement vers ce sujet parce que c'est un temps que t'accorde vraiment le groupe. Tu peux choisir la lumière, les placements – ou les musiciens peuvent te dire 'va te faire foutre, je me place comme ça', ce qui est très bien aussi – et c'est un moment assez unique, où on est vraiment ensemble 5 minutes, une heure, un temps souvent très court. C'est un challenge et cela tend à définir ton style : c'est par le portrait qu'on te reconnaît. La patte, la façon de le faire, la lumière, les poses… Et le portrait va durer dans le temps. Une belle photo de live durera peut-être vingt ans, mais il y a tellement, tellement de photographes live maintenant… Tu peux faire une super photo de concert un soir, le lendemain le groupe poursuit sa tournée et un autre photographe poste à son tour une belle photo : la tienne est perdue – on passe à autre chose. Alors qu’un groupe ne fait pas de beaux portraits tous les jours. C’est le genre d’images qu’ils vont garder plusieurs années et, de fait, eux ou leur label vont te la payer. Je vois plutôt les choses comme ça.

 

Vous trouvez qu'il y a trop de photo de concerts aujourd’hui ?

Peut-être, mais je pense surtout que grâce à cette concurrence la photo de concert s'est tout de même améliorée. Les grandes salles continuent à n'autoriser les photos que lors des trois premières chansons, ce qui est dommage, car ce sont plutôt les trois dernières qui sont les plus intéressantes – c'est pourquoi je préfère les petites salles, où tu as tout le concert pour toi – mais c'est une façon de limiter les prises de vues. On arrive à des situations complètement folles : au Hellfest, les photographes passent par lot de 40 sur un seul titre… Certains arrivent à bien bosser dans ces conditions, mais c'est la foire d'empoigne.

Ensuite, il y a aussi une question de choix, de tri. J’avais imaginé une appli qui proposerait un cliché par concert, que chaque concert soit référencé et que chaque photographe mette une seule photo. Celle qui l'a le plus marqué de sorte qu'elle soit vu par le plus grand nombre. Sur certains webzines des photographes publient 40 photos qui se ressemblent. Alors certes, il arrive que l’on ne puisse pas bouger, que les photos soient prises du même endroit, avec une focale fixe. D'où cette monotonie. Mais dans ce cas, est-ce bien la peine d'en mettre 40 ? Parfois j'ai trois images, et cela suffit. Les gens ne comprennent pas qu'il faille trier, enlever le plus de clichés possibles, garder l'essentiel. Dans certaines expos – dont les miennes – je me dis 'mais pourquoi avoir sorti ce tirage ?'. Le choix est loin d'être facile… Tu peux exposer la photo d'un artiste connu pour la vendre, ou pour que les visiteurs viennent te dire 'elle est bien' parce qu'ils reconnaissent le groupe. Mais, au fond, c'est juste un mec connu, ce n'est pas ta meilleure photo et tu le sais. Je préfère essayer de prendre le chemin inverse : dans une bonne photo, où il se passe un truc, tu découvres un artiste inconnu – et ça t'amène à écouter le groupe en question. Lors d'une expo chez Dr Martens, par exemple, j'avais mis des QR code à côté des tirages, chacun renvoyant à un titre de l'artiste sur Youtube…

 

Quel matériel utilisez-vous ?

Je travaille en numérique – c'est bête à dire, mais l'argentique peut coûter, sur la longueur, assez cher. Pour les objectifs, j'ai commencé avec un 50 / f. 1,8, la base. Puis j'ai acquis un 70-300 mais je ne l'ai quasi jamais utilisé. D'ailleurs je l'ai perdu à un concert de GBH au glazart… Et puis je préfère les focales fixes : ça te force à bouger ton cul. C'est très, très important. Aller derrière les gens, chercher des angles différents, éviter la fainéantise. Je travaille au 20 mm, beaucoup, et j'ai toujours un 50 et un 85, trois trucs qui tiennent dans mes poches. Je vois parfois des photographes avec des objectifs 70-200 faire des photos de hardcore du fond de la salle. Pourquoi pas, ça peut être un style ; ils arrivent à faire de supers clichés comme cela. Mais je préfère être devant, dedans. Glen Friedman ou Edward Colver ont fait des photos géniales avec des argentiques qui ne coûtaient rien, dans la fosse – je ne me compare pas à eux, mais j'aime cette simplicité. Et de toutes façons, un 70-200 ou 70-300, dans le hardcore, tu le casses vite. C'est tellement grand que tu as vite fait de prendre un coup de pied ; le truc est par terre, et c'est fini.

 

 

Et pour vos tirages ?

Je voulais des tirages qui ne soient pas trop brillants, des noirs profonds et une base de papier très blanche pour bien faire sortir les contrastes. C'est très important pour moi, surtout dans les noirs et blancs. Du coup j'ai pris un jet d'encre satiné, le pearl. Et j'ai fait contrecoller les tirages : j'aime bien le côté très direct que cela donne. Dans un bar c'est dangereux, plusieurs de mes tirages ont déjà souffert, mais ça fait partie du jeu !

 

Brain Ravaux – ImmortalizR

Dr Fellgood
37 Rue Quincampoix
75004 Paris

Du lundi au samedi, de 17 à 2h
Dévernissage le 28 février