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En photo Publié le 2 août 2015

Gueule d’Ange – Numéro 32 – Sab Ji

Sab Ji, c'est Sabrina Budon. Un nom d'artiste, choisi au retour d'un premier reportage en Inde." J'en avais assez qu'on écorche mon nom, qu'on inverse les syllabes."


Même si la  signification est imprécise et sans vraiment d'importance, les deux vocables s'associent parfaitement à Sabrina, photographe attirée à la fois par le témoignage du reportage et les hasards de la création, une ambivalence tenace. Sab Ji, ces deux phonèmes doux et toniques, résonnent de sa différence, son humanité et sa curiosité incessante de l'autre. Sab Ji annonce la plénitude du voyage, dans une dualité propice à nous émouvoir.
 

Le reportage en mouvement



Les yeux prolongés d'une fine arabesque tatouée, comme pour souligner l'importance du regard, c'est pourtant sa faculté à argumenter et à raconter des histoires qui surprend. D'emblée, elle vous transporte dans la légende du fleuve Sarasvati, en Inde, à l'origine de son premier sujet photographique, en 2007, puis vous entraîne dans le conte de Cendrillon et ses 345 versions à travers le monde, enchaînant les anecdotes et défendant les grands thèmes sociaux qui la mobilisent, tout particulièrement la condition des femmes. Chaque sujet est préparé avec une rare assiduité et l'idée de la conférence qui pourra finaliser le sujet est déjà présente, bien plus que celle de l'exposition ou du livre. Elle a besoin des mots, des concepts pour soutenir ses images et les revendiquer. Les mots sont dans l'avant et l'après, mais sur le moment elle sait les oublier et laisser son regard, ses émotions, sa peau, réagir. C'est ce qui fait la richesse de son travail photographique. Tout autant documenté qu'instinctif. Construit et si mouvementé !

 

La découverte de l'autre à l'origine de la création



Sab Ji a découvert la photographie, comme beaucoup, adolescente, quand ses parents lui ont offert l'appareil photo convoité. Un apprentissage, prise de vue et laboratoire  argentique, s'en est suivi, mais sans plus. C'est seulement au sortir de 5 années d'études aux beaux-arts que la photographie s'est imposée comme le médium de création. "Aux beaux-arts, j'ai travaillé toutes les techniques, je me suis beaucoup intéressée à la broderie, j'avais complètement délaissé la photographie, pourtant c'est ce support que j'ai choisi pour mon premier véritable projet de création."

En 2007, pour Lonely Planet, elle signe son premier reportage, en Inde, "Sarasvati déesse et fleuve disparu". Deux photographes s'associent pour imager la réalité d'un fleuve asséché face à la légende de la déesse du même nom, la misère écologique et humaine sous les hospices du dieu Brahma. Le premier photographie en noir et blanc. En reporter confirmé, il ramène des images réalistes du quotidien des gens et de leurs décors de vie.

Sab Ji, elle, en artiste, se joue de la réalité pour aller plus loin sur le chemin de la vérité d'un peuple et frôler la légende. Elle opte pour le mouvement, refuse de figer l'instant, accepte le flou, revendique l´imperfection, si décriée par les pairs de la photographie.

"Je suis attirée par la découverte de l'autre. C'est l'origine de toutes mes envies de création. Chaque projet est une occasion de rencontre. Je me place dans les conditions classiques du reportage professionnel, avec étude approfondie des contextes de vie et prise de contacts sur place, mais je ne peux me contenter de saisir l'instant. Ce peut être tellement trompeur, si réducteur. Je voudrais pouvoir offrir à toutes ces belles personnes qui m'invitent dans leur intimité, l'image qui les relie à leur esprit." 

Le flou de mouvement, tel qu'elle le conçoit, léger filé qui entoure et protège chaque personnage d'une aura lumineuse, bougé qui laisse nets les détails, uniques et essentiels, est devenu son style, son écriture. On pourrait lui reprocher de faire de l'esthétisme, de la belle image sur des situations de misère, mais les photos de Sab Ji ne sont pas de ce registre. Extraites de leur histoire, elles sont impropres à l'illustration, toujours à la limite du désordre, si belles mais si ambigües, prêtes à basculer dans le chaos, elles suscitent d'abord le questionnement, convoquent les esprits des êtres et des lieux, ne se figent jamais dans la matérialité du beau, de l'agréable.

"Mes premières photos, je les ai couturées, raturées de part en part comme pour anéantir leur effet de perfection, leur enlever toute crédibilité contractuelle. Pour moi la photo n'est pas source de vérité, celle-ci se tient ailleurs, plus dans le geste créatif, dans la magie des rapports avec l'autre."

 

Quand la photographie nous est contée



On l'a compris, Sab Ji aime les histoires, légendes ancestrales ou parcelles du quotidien, sociales ou ludiques. Elle a besoin des mots, de la psychologie et de la philosophie. Une curiosité intellectuelle qui responsabilise son acte créatif. Cette double envie de mots et d'images l'entraîne dans une multitude de défis, sur des chemins jusque-là inusités. 

En 2010, après un important travail de recherche sur les différentes versions du conte de Cendrillon, aidée par Lonely Planet et Déclic Edition, elle part pour un tour de monde et en image quelques unes parmi les 345 répertoriées. 12 mois, 12 pays. Du Mali, avec la jeune fille mariée par son père qui accède malgré tout à l'indépendance sociale, à la Russie, avec l'omniprésence du bouleau qui est aussi la mère, la Chine et la fée poisson, le Japon et l'épisode de la chaussure remplacée par une chanson,  l'Egypte, la Mongolie, la Birmanie, l'Inde, les États-Unis, l'Argentine, la Bolivie. De la misère à la réussite, du désespoir au bonheur, du jour à la nuit, elle rencontre et photographie les femmes. Dans son style si caractéristique du mouvement.

"L'idée s'associait bien à mon écriture. Impossible d'adopter une photographie réaliste sur ce thème. Dans le filé, lumineux du jour, sombre de la nuit, la réalité s'efface au gré d'une silhouette, d'un geste, d'un regard net et contrasté, exprimant la joie ou la détresse, révélant une personne." Les photos, agrandies dans différents formats jusqu'au 60 x 80 cm, seront exposées partout en France et à Oulan-Bator (expo financée par l'ambassade de France et ses partenaires), avec à chaque fois une conférence sur la condition des femmes  dans les différents pays traversés.

Depuis 2005, c'est le tango qui est conté. Une passion où le mouvement devient sensualité, le bougé musical. "Le tango a beaucoup influencé mon style photographique. Je voulais transmettre le ressenti que j'avais en dansant." Une exposition est créée à la galerie Photo Originale et tourne dans toute la France.

Sab Ji sait aussi se raconter et alors l'histoire devient entièrement psychologique, en relation avec la peau. Un travail d'autoportraits plus sombres, mais tout aussi mouvementés, sur l'enfermement et la vacuité de la peau. 

Cet été Sab Ji est en Colombie et gageons que ce voyage aura aussi son histoire.

Le temps où une image pouvait s'imposer d'elle-même par sa seule écriture de lumière est révolu. Les photographies ont besoin, comme les mots, de construire des phrases, de raconter des histoires, finalement l'histoire de leur auteur, pour mériter un devenir. Sabrina Budon, devenue Sab Ji, photographe et conteuse, reporter et plasticienne, est emblématique de cette nouvelle génération d'artistes / photographe.

 

Négatif Plus, une référence.

 

"J'ai découvert Négatif Plus au dernier salon de la photo. Je connaissais ce laboratoire de nom, comme Picto, qui sont pour moi les deux laboratoires photographiques de référence. Depuis, je confie la réalisation de mes tirages d'expo à Négatif Plus. Pour CendrillonS, on a choisi le papier Hahnemuhle photo Rag et les tireurs de Négatif Plus s'en sont très bien sortis. pas évident de conserver du détail dans les hautes lumières sans nuire à l'extrême luminosité de certaines images."


Niels Sidsel


http://www.sabji.fr/