En photo Publié le 6 août 2015
Gueule d’Ange – Numéro 36 – Spécial Vincent Bruno
La capuche tendue sur une casquette toute parisienne, mains dans les poches et regard bleu, perdu dans un océan de lumière, Vincent Bruno est assis en terrasse devant un double café, un paquet de cigarettes et quelques feuilles éparses où s’imbrique une multitude de dessins. Il m’attend, seul, dans le froid installé d’un début d’après-midi.
Il prépare l’interview, cherche à mettre de l’ordre dans son parcours, ses projets et ses envies, à séparer l’essentiel de l’accessoire, pour dégager une logique qui m’aiderait à rédiger cet article. Faut-il passer par la version longue, raconter l’enfance dans un quartier difficile de banlieue et des études écourtées faute de moyens, le cheminement fébrile et dissolu qui s’en suivit, au gré des bars et des rencontres nocturnes, ou ne parler que de la réussite, celle des cinq dernières années, avec la vente des dessins, les recherches graphiques et les prestations en light Painting facturées au prix fort pour les grandes marques et entreprises internationales ?
Ses notes Vincent Bruno les relira pour bien vérifier qu’il n’a rien oublié d’important, mais l’enthousiasme aidant et la richesse du vécu s’imposant, l’essentiel fut dit d’un souffle, d’un trait, avec en point d’orgue l’engagement, tant social que créatif, qui associé à quelques dons notoires comme celui du dessin, lui permet d’être à trente-trois ans un artiste. Un artiste simplement. Droit, passionné, toujours en mouvement et ouvert aux autres.
Le dessin à l'origine
« En classe de 3ème , je voulais faire des études de cinéma, pourquoi pas à la FEMIS, parce que j’aimais dessiner et raconter des histoires. Pour des raisons pécuniaires, j’ai du arrêter après le bac, mais je me suis rappelé ce que mon prof d’arts plastiques m’avait dit : si tu ne peux pas faire de cinéma, fais de la BD, c’est le cinéma des pauvres ! J’ai suivi son conseil et le dessin demeure la source de toutes mes créations. »
Les petits boulots s’enchaînent, au Monop, dans les bars, mais le dessin reste le point de repère, celui qui le sauve de la déshérence et qui est l’origine de l’enchaînement créatif.. « Mon premier vrai tableau je l’ai fait une nuit, dans ma chambre, au-dessus du bar dans lequel j’étais barman. A deux heures du matin, l’heure où la solitude vous accable, j’ai pris mes crayons et pastels et je me suis lancé dans un grand format. Un tableau très noir représentant un homme qui se prend la tête dans les mains, empreint de douleur et d’anxiété. Mes premiers tableaux étaient aussi une sorte de thérapie »
Pour ses dessins toutes les techniques sont bonnes, il adore les graffitis mais aussi le fusain ou l’huile, passe du micro portrait à la fresque murale. Il les montre, dans la rue, dans les bars où il travaille, et commence à les vendre, jusqu’à ce que Laurent Beuffe, 1er décorateur européen, spécialisé dans le luxe, remarque une de ses œuvres et vienne le chercher sur son lieu de travail. A 25 ans, quasiment d’un jour à l’autre, il se retrouve à créer les décors muraux des riches demeures, à être payé 200 €/jour, lui qui vivotait de petits boulots.
La performance du light painter
C’est deux ans plus tard, en 2008, qu’il appréhende la photo, un peu forcé puisque c’est EDF qui lui ayant passé commande d’une fresque à réaliser avec des jeunes, lui propose de faire aussi les portraits des jeunes qui l’assistent. Il accepte et en grapheur, n’ayant aucune connaissance photographique, il choisit le light Painting, le dessin de lumière. Il se renseigne, contacte des grapheurs ayant l’habitude de cette technique et fait ses premiers pas.
« J’ai tout de suite adhéré à cette technique. Je l’ai abordée par le biais du dessin. Je dessine beaucoup avec la lumière, mes minis torches et néons sont mes feutres, alors que d’autres ré-éclaireront des pans entiers du sujet, en photographes. Je suis plus proche du light painting de Picasso que de Semeniako ! Après cette expérience avec EDF, j’ai pris l’habitude de réaliser une photo n light-painting à offrir aux visiteurs de mes expos de dessins, puis au fil des expériences et des rencontres, après une multitude de tests de matériels d’éclairage, j’ai affuté ma technique. Pour devenir aujourd’hui l’un des spécialistes de cette pratique. »
Les français sont très présents dans le light Painting, ils représentent plus d’un tiers des intervenants dans le monde. Le grapheur MARKO a été le précurseur et il fut l’un de ceux qui ont formé Vincent Bruno, mais on peut citer aussi Julien Breton ou Wen-Jié Yang qui a créé il y a deux ans avec Vincent Bruno le Light Club, association de quatre puis sept photographes spécialisés dans le light painting, notamment pour des animations en direct, style performance.
« Avec le Light Club, nous réalisons des animations pour de grandes marques comme BMW ou Play Station. Le light painting se fait en direct. Nous sommes trois ou quatre à agir sur l’image et chaque effet se visualise en direct sur grand écran. C’est du grand spectacle et ça marche très fort. » Un succès qui lui permet de passer du temps sur des recherches plus créatives, renouer avec le dessin et même tenter l’aventure purement photographique en réalisant prochainement une série de portraits grand formats en light painting sur film argentique.
L'engagement social
« Pratiquer le light Painting c’est aussi l’occasion de rencontres, fraterniser avec les gens de la nuit, prêts à refaire le monde, curieux de tout. La plupart de mes projets se font en extérieur, je travaille peu en studio excepté les animations. Les badauds sont immanquablement attirés, ils découvrent la technique et prennent vite le virus. J’adore l’idée que notre groupe de light painters s’ouvre à tous, additionne les univers et permette à chacun de s’exprimer en créant. » C’est dans cet esprit que Vincent Bruno réalise les tutos sur You Tube, enseigne dans différents institutions, les prisons, les hopitaux, les club-photos, …
« Me faire payer 450 € de l’heure pour une animation à la cité de la mode, me permet de passer du temps auprès des plus démunis, d’aider les jeunes créateurs, c’est mon côté Robin des bois et j’y tiens. »
Tatoueur, art et intimité
« Le tatouage sera l’art majoritaire de demain, j’en suis sûr. Qui a les moyens aujourd’hui d’investir dans une peinture originale ou une photo grand format et qui a les appartements suffisamment vastes pour les y exposer ? Alors qu’une miniature sur un coin de peau, ou la fresque sur un dos est toujours avec soi, à montrer à ceux que l’on aime, à partager dans l’intimité. » Convaincu par le tatouage, vincent Bruno, en autodidacte, comme pour le dessin et le light painting, a commencé doucement, en testant sur lui-même, multipliant les expériences. Aujourd’hui, il officie dans un cabinet de tatouage : Le Diable au Corps, à Boulogne. Il propose rarement à ses clients les motifs qu’il a créé pour son catalogue, il préfère rencontrer la personne et créer avec elle le visuel qui lui correspond.
L’enchaînement créatif semble infini et improbable, sur quel support créera-t-il demain quels seront ses outils ? Nul ne le sait, mais n’est-ce pas le propre de l’artiste véritable, toujours en dehors des sentiers battus comme le rappelait si bien René Char.
« J’aime me comparer à un arbre, celui qui fleurit de partout, aux mille branches, qui sont autant d’expressions, de techniques, d’idées et d’envies, nourris par une même sève un même tronc. »
Négatif+ ?
Que voulez-vous que je vous dise ? Pour moi Négatif Plus c’est la référence parisienne. C’est ce qu’on m’a dit et c’est ce que j’ai pu vérifier, sans jamais aller dans d’autres laboratoires.