En photo Publié le 8 août 2015
Gueule d’Ange – Numéro 38 – Dominik Nicolas (ex-Indochine)
Quand on m’a dit que je devais interviewer Dominik Nicolas, le co-fondateur avec Nicola Sirkis du groupe Indochine, j’ai à peine cillé, apparence oblige, mais l’évanouissement intérieur était en marche, liquéfié…
Indochine tutoie les sommets, en France et en Europe, depuis plus de trente ans, et Dominik Nicolas est l’auteur des principaux titres de la période glorieuse, des années 80 et 90, comme « L’aventurier », « Troisième sexe » ou « Tes yeux noirs» qui font partie du patrimoine musical national. De quoi angoisser ! Surtout quand on n’est ni rocker, ni critique musical. Mais voilà, Dominik Nicolas sort son premier album solo, 20 ans tout juste après sa séparation du groupe, un événement musical et médiatique qu’il est prêt à partager avec nous pour un Gueule d’Ange spécial. Ca ne se rate pas. Même en m’étant préparé au mieux, réécoutant le meilleur d’Indochine et passant en boucle le premier opus de Dominik Nicolas, j’appréhendais la rencontre. On m’avait mis en garde : « ne parle pas trop du groupe Indochine, il est toujours en froid avec Nicola Sirkis, reste principalement sur sa musique, parle nature, moto, pêche, … Et tu verras, il est adorable.»
Adorable, voilà le mot sur lequel il aurait fallu insister. Dès le premier regard, toute la pression s’est évacuée. Dominik Nicolas est d’une simplicité désarmante, comme si l’épisode Indochine, loin de l’avoir grisé, le protégeait du moindre orgueil. Humble et solitaire, mais aimant la compagnie de ses amis et plus généralement de ceux qui partagent les mêmes valeurs d’humanité et de respect de la nature.
De la création d'Indochine à la rupture
Il aurait pu être comptable, mais la moto et la guitare prenaient trop de place. La moto d’abord ! Dès l’âge de 11 ans, sur une mobylette qu’il lance à fond sur les chemins boueux, puis les bolides survitaminés qu’il pousse jusqu’à la rupture, de frayeurs en accidents. Des envies de vitesse et de sensations extrêmes qui sont toujours aussi vives aujourd’hui, le goût du risque en moins. « Désormais, je préfère piloter sur circuit, j’ai eu trop d’accidents et je ne veux pas que les autres pâtissent de ma passion. J’ai opté pour une Norton Commando des années 70, un peu moins nerveuse. Ça me rassure. » Il aurait voulu être champion, mais c’est la guitare et le hasard des rencontres qui l’ont emporté. A 19 ans, il crée Indochine avec son copain de quartier Nicola Sirkis. Dès le milieu des années 80 la formation remporte l’adhésion du public, les tournées à succès se multiplient ainsi que les disques d’or. Dominik compose et joue de la guitare, Nicola écrit et chante. « L’aventurier », « Miss Paramount », « Kao Bang », Canary Bay », « Troisième sexe », « Les tzars », …, que des tubes, aujourd’hui encore plébiscités.
Puis en 1995, Dominik quitte le navire paradisiaque. Il n’en peut plus de la médiatisation à outrance et de l’hystérie des foules. Et il ne s’entend plus avec Nicola Sirkis. Le plaisir n’est plus là, il préfère partir. On aurait pu s’attendre à ce qu’il crée un autre groupe, fasse une carrière solo, mais non, s’en était fini avec la musique, du moins pour un temps. « J’ai eu envie d’autre chose, me consacrer à mes autres passions comme la moto et la pèche à la mouche, de voyager, de fonder une famille. De vivre normalement en somme. J’avais besoin de me ressourcer, au grand air dans la campagne, d’être proche des gens, naturellement, simplement. » Il voyage en Asie et dans le grand Nord, s’installe en Corrèze, où il retape une ancienne ferme. Il s’échappe pour de longues virées à moto, sur les petites routes du sud et de Corse. La vie est belle. Seul et aimé.
Il ne délaisse pas pour autant la musique. Impossible d’éviter le surgissement des mélodies dans la tranquillité de la campagne ou la turbulence de la vitesse ; alors il s’arrête et enregistre sur un dictaphone la petite musique qui s’immisce. La mélodie chantée et grésillante sera ensuite retravaillée dans le calme du studio et deviendra peut-être le début d’une chanson ou le jingle d’une publicité. «J’ai signé plusieurs musiques pour la publicité et même tenté un disque électro au début des années 2000. C’était plus un moyen de faire vivre ces mélodies, de renouer avec l’ambiance du studio, que l’envie véritable de créer.»
La renaissance du plaisir de composer
C’est la rencontre avec Noël Mattéi, en 2010, ancien parolier et leader du groupe Madinka, qui sera l’élément déclencheur. Ils ont un parcours similaire, tous deux échappés d’un groupe à succès, une même philosophie de vie tournée vers l’humain et des exigences professionnelles équivalentes. C’est le début d’une amitié. Et si on faisait un album !
«Je suis certainement idéaliste, mais je voulais que mon premier album solo soit réalisé avec des gens que j’apprécie avec lesquels je me sens bien et ai une envie de partage. C’est le cas avec Noël, c’est vrai aussi pour les musiciens, guitaristes et batteur, tous passionnés par ce qu’ils font, au-delà du gain et de la notoriété. Je voulais un album sans concession, de pur plaisir.»
Ce disque, il le fait par envie. Rien ne l’y poussait, ni le besoin d’argent, ni l’envie de notoriété, même pas le manque de scène et de l’adrénaline des concerts d’antan. Il a attendu le temps qu’il fallait pour retrouver la fraicheur de composition des premiers temps, de ces années 80, quand la guitare sonnait encore à son cœur. Un seul morceau est ancien, du début des années 2000, tous les autres sont composés pour l’occasion.
« Cet album, je l’ai peaufiné. Comme vous photographe vous pouvez passer des heures sur la colorimétrie et la retouche d’une photo. J’ai composé toutes les musiques et joué tous les instruments. Ce fut aisé pour les guitares, j’ai même conservé certains enregistrements de la maquette, mais beaucoup plus ardu pour les synthés, mon perfectionnisme ne faisant qu’empirer les choses. Noël a écrit sur les musiques et Naïs, ma fille étudiante en communication, m’a offert le texte de «A ne pas croire». Elle chante aussi avec moi sur “Le soleil est comme toi.“»
L’album est aujourd’hui dans les bacs, le clip du titre “Underground“ en est à plus de 30 000 vues sur You Tube et la presse spécialisée est très positive, mais quand je rencontre Dominik Nicolas, deux jours avant la sortie, il est toujours dans le doute, il angoisse à l’approche des premières scènes et me confie qu’il peut même tout abandonner. « C’est comme si on disait à un photographe amateur qui a réussi une superbe série d’images : maintenant tu es reporter et tu vas sur le terrain. L’angoisse ! » Il repense à la moto. « Si une bonne fée me donnait le choix entre la réussite de mon album ou gagner une course moto ou auto importante, je choisirais sans hésitation cette dernière option.»
Dominik Nicolas vit pour ces moments de bonheurs éphémères où l’on a le sentiment d’atteindre la perfection. Un son parfait qui transporte les sens, un dérapage qui se prolonge au-delà du raisonnable. Un bonheur que le photographe connaît bien aussi quand tous éléments par magie entrent et s’équilibrent dans le cadre.
Un hymne à la beauté, rock et fantaisie
Le premier titre, « Ici », est très « Indochine », fait pour la scène et la démesure, véhément, au son ample et ravageur. Le départ est flamboyant ! Puis « Le soleil est comme toi » interprété à deux voix, ou « Instagram », charmante comptine aux accents moriconniens, donnent le ton de l’album, varié et subtil, mélancolique et enjoué, rock bien sûr mais aussi électro, pop et new wave. Guitariste et formidable mélodiste, Dominik Nicolas nous emporte sur son terrain de jeu. Son toucher de corde très particulier, immédiatement reconnaissable, nous emmène dans les années 80, le rythme s’impose, prend au corps, la mélodie captive et la voix sensuelle et tendre, aux accents enjoués, nous étonne et nous apaise. C’est un disque « plein », sans déception, sans creux. Les morceaux s’enchainent, on voyage dans les sentiments : l’amour, la pudeur, la fraîcheur et un peu de nostalgie… Il s’agit de rock et d’amour, de batterie et de guitares, d’envie de scène, de pop oisive et surtout d’inventivité, … De la beauté de l’idée.
"Ce premier album Solo est un hymne à la beauté… rock et fantaisie"
La beauté de l'idée
Les images et les idées sont belles, chaque titre est une découverte et mérite sa présence dans l’album. Ce sont principalement des histoires d’amour, des histoires à deux, Dominik Nicolas ne fait pas dans le social bien pensant, pas plus que dans le hapenning politique, son credo est porté par la relation à l’autre, d’amour et d’honnêteté.