En photo Publié le 16 octobre 2022
Questions de droit : le droit à l’image, qu’est-ce que c’est exactement ?
C’est une question indissociable de la photographie elle-même : quels sont les droits des personnes photographiées ? Quelles images peut-on montrer, et dans quelles conditions ? Qu’est-ce exactement qu’un modèle, un mannequin ? Pour nous guider dans ces vastes problématiques, l’avocate Hortense Moisand nous apporte quelques lumières sur les principes fondamentaux du droit à l’image…
Négatif + : Commençons par une tentative de définition : qu’entend-on exactement par l’expression ’droit à l’image’ ?
Hortense Moisand : Le droit à l’image est une déclinaison d’autres droits plus généraux. Il est souvent difficile de savoir dans quel cadre, dans quel type de droit on se trouve : droit de propriété, de la vie privée, des attributs de la personnalité, des biens corporels – de quoi parle-t’on exactement ? C’est pourquoi ce droit à l’image est essentiellement issu de la jurisprudence, qui en a défini les contours au fil des très nombreuses batailles juridiques des cent cinquante dernières années. Aujourd’hui, l’image des personnes est au coeur de la communication, c’est devenu un sujet incontournable. On le retrouve partout, tous les jours : dans pléthore de types d’usage, d’exploitation, avec des images d’anonymes ou de non anonymes, pris dans un cadre professionnel ou pas, etc. Il y a un nombre incalculable de cas de figures. Pour faire au plus simple, le droit à l’image est celui de la personne qui y représentée de s’opposer à la diffusion de son image et d’en faire commerce le cas échéant. Chacun a un droit à l’image, qu’il soit anonyme ou connu. Ce droit est régi par le code civil. Il est distinct du droit d’auteur (régi par le code de la propriété intellectuelle) dont le photographe peut être titulaire. Ces deux droits interagissent en permanence mais ne doivent pas être confondus.
Négatif + : Quels en sont les principes fondamentaux ?
Hortense Moisand : Le principe fondamental à retenir est que toute personne est susceptible de pouvoir s’opposer à la diffusion de son image. C’est un droit universel de protection, de défense, qui ne peut être contourné que par quelques rares autres règles telles que la liberté d’expression et la liberté de la presse, ces dernières permettant en effet de se passer de l’autorisation des personnes. Mais, en règle générale, il est absolument nécessaire, pour le photographe, d’obtenir l’autorisation de diffusion de l’image d’un individu – mais pas obligatoirement avant la prise de vue !
D’autre part, chacun dispose du droit de commercialiser son image, celle de son visage comme celle de son corps. Même si le corps, lui, ne peut être l’objet d’aucun commerce, son image est par contre susceptible de faire l’objet de rémunération. Il existe donc deux versants au droit à l’image : un droit de protection d’une part, et un droit d’exploitation d’autre part, ce dernier pouvant être compris comme les conditions de renonciation, pour le modèle, à son droit premier d’opposition. Il est très important que les deux parties, le modèle et l’exploitant, définissent en amont les limites de l’exploitation autorisée (sa portée, la durée, les supports d’exploitation des images et le montant de la rémunération perçue par le modèle). Tout ce qui n’aura pas été prévu contractuellement ne sera pas autorisé sans renégociation préalable. Cela donne des contrats qui peuvent un peu ressembler à ceux des auteurs ; on parle d’ailleurs ‘d’oeuvre du corps’.
Il existe à ce propos de très nombreuses jurisprudences, mais j’en citerai une récente à titre d’exemple : une mannequin avait participé à une campagne de produits cosmétiques et donné le droit d’exploiter les images deux ans durant. Au terme de ce délai, l’exploitant a continué de diffuser ces clichés mais en flouttant son visage : eh bien l’exploitant a été sanctionné, parce que le corps est un objet de droit, même si l’on ne reconnait pas tout de suite l’identité du modèle… (Ordonnance de référé du TGI de Paris du 16 novembre 2018.)
Négatif + : Les modèles ont-ils un statut particulier ?
Hortense Moisand : ll existe en théorie une distinction entre les mannequins et les modèles, les modèles n’étant pas soumis à la loi sur les mannequins. Le modèle intervient de manière courte, ponctuelle, désintéressée et sans aucune contrepartie, à l’exception des tirages offerts par le photographe, dans le cadre d’un loisir artistique.
L’image du mannequin est, quant à elle, choisie pour représenter une marque. Elle est le support commercial d’un vêtement, d’un parfum, d’un produit. Une loi est venue règlementer cette profession afin de clarifier la double relation qui existe entre l’exploitant et le mannequin. En premier lieu, le législateur a précisé la définition d’un mannequin : « désormais sera considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité est exercée à titre occasionnel, toute personne qui est chargée soit de présenter au public, directement ou indirectement, par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire, soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image. » C’est donc une définition très large qui s’applique à des personnes physiques, adultes comme mineures.
En second lieu, le législateur a décrété que, par définition, dès qu’il y a une prise de vue, il y a une présomption de contrat de travail – que les photographies soient par la suite exploitées ou pas. Le travail pendant la prise de vue est rémunéré, cela sous-entend que le modèle va faire ce que lui dit le photographe, donc qu’il est dans un lien de subordination, et donc qu’il est bien dans le cadre d’un contrat de travail. Ce contrat de travail, réel ou présumé, est indépendant des droits d’exploitation des images : ce sont deux choses à envisager séparément.
Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’une photo de mannequin ou de modèle, la personne photographiée n’aura aucun droit sur l’image elle-même. Elle appartiendra au photographe, le seul auteur. L’image de cette personne fait l’objet d’une exploitation, d’une commercialisation dont elle peut être dédommagée, mais elle n’a pas de droit sur la photo elle-même en tant qu’oeuvre.
Négatif + : Mais si la personne photographiée n’obéit pas aux injonctions du photographe, comme par exemple un musicien pris lors d’un concert – doit-il percevoir une rémunération ?
Hortense Moisand : Un photographe peut faire des portraits d’artistes, cela peut être considéré comme de la photo d’art. Mais le fait est que la photo de tel ou tel musicien ou comédien, en dehors de la qualité de la prise de vue elle-même, est valorisée, y compris sur un plan purement marchand, par la notoriété de l’artiste photographié… donc ce dernier pourrait demander à être payé, ou du moins demander à pouvoir exploiter le cliché au titre de son droit à l’image ou de ses droits voisins. Non pour le travail lors de la prise de vue, puisqu’il n’y en a pas (il est pris durant l’exercice de son métier), mais pour l’utilisation de son image. Nous sommes donc dans un cas de conflit de droits entre celui du photographe et celui de l’artiste sur son image. Les tribunaux devront trancher cette question au cas par cas, même si la jurisprudence est peu abondante sur cette question. De toute façon, là aussi et comme dans tous les cas, le photographe doit préalablement obtenir l’autorisation de diffuser ses images !
Hortense Moisand a été responsable juridique de prestigieuses institutions publiques (le Musée du Louve, le Musée du Quai Branly, le Palais de la Découverte) avant de réintégrer la profession d’avocate au barreau de Paris et le cabinet Constellation. C’est comme spécialiste du secteur artistique et culturel qu’elle intervient ici.
moisand-avocate.fr
Linkdin
Illustration photographique de cet article :