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En photo Publié le 5 novembre 2022

Questions de droit : le droit à l’image et ses exceptions

Dans notre précédent article nous avons découvert les principes fondamentaux qui régissent le droit à l’image pour un modèle. Mais il arrive que ces principes, et avant tout le droit à s’opposer à toute utilisation d’une photographie où l’on apparaît, soient suspendus et subordonnés à d’autres obligations : qu’en est-il de ces exceptions ? Un point avec Hortense Moisand, avocate au barreau de Paris et spécialiste du droit artistique.


Négatif + : Nous avons vu que tout le monde peut s’opposer à la diffusion de son image. Mais qu’en est-il lorsque l’on apparait, par exemple, dans une photo de groupe ?

Hortense Moisand : Prenons le cas d’un sportif professionnel, un rugbyman : s’il est pris sur une photo d’équipe ou pendant qu’il joue dans un match, il ne pourra pas faire obstruction à l’emploi de cette photographie. En effet, il s’agit alors d’informer ou de restituer des images d’actualités. Il en sera de même dans le cas, entre autres, de la publication d’un manuel didactique, à condition que l’ouvrage ait une finalité pédagogique et que l’image du sportif ne soit pas dénaturée (TGI Paris 10/01/2005, RG 03/00774). En revanche, s’il fait une publicité, et ce même parmi d’autres personnes, sa notoriété est prépondérante et prend le pas sur son statut de sportif : il est considéré comme un mannequin ou un artiste, il doit être rémunéré. 

 

Négatif + : Mais pourquoi, dans le cadre d’un match, son droit à l’image est-il suspendu ?

Hortense Moisand : La photo d’un match ou d’une équipe va être considérée comme une photographie visant à informer le public. Dans ce cas, c’est le droit à l’information qui prévaut, l’un des rares moments où le droit à l’image des personnes est supplanté par d’autres priorités. Plus généralement, pour toutes les photos prises lors d’événements ou de manifestations sur la voie publique, la jurisprudence évolue pour autoriser de manière de plus en plus large la reproduction d’image des personnes – et ce même si elles apparaissent en premier plan. Cela me rappelle un cas récent : une jeune femme avait été photographiée lors de la coupe du monde sur les champs Élysées, avec le drapeau français, en gros plan, portée sur les épaules d’un ami. C’était clairement l’évènement qui faisait l’intérêt du cliché, elle était comme une Marianne, et je pense qu’elle ne pouvait pas s’opposer à la diffusion de cette image. Mais cela dépend du juge : c’est à lui d’estimer quel serait son préjudice, en quoi cette photo la dégraderait, est-ce qu’elle a été réellement prise à son insu, etc. C’est lui qui décide si cette photo doit être retirée et si l’éventuel préjudice nécessite une compensation. 

 

Négatif + : Peut-on justement revenir sur le cas des photos prises à l’insu du sujet ?

Hortense Moisand : C’est ici que l’on aborde la question de la vie privée. C’est la protection de cette dernière qui prévaut, selon l’article 9 du code civil : on a le droit au plein respect de sa vie privée, et donc de son image dans l’espace personnel. Le paparazzi qui va prendre une célébrité en famille, c’est une atteinte à la vie privée de celle-ci : on parle de droit à l’image mais, en fait, l’atteinte est liée à la vie privée de cette célébrité. Nous parlions de l’information du public comme exception du droit à l’image : imaginons le remariage de Johnny, c’est un sujet qui peut intéresser le public, mais c’est avant tout un évènement de la vie privée. Il y aura toujours un concours entre ces deux notions. Il appartiendra au juge de déterminer la limite entre l’information légitime du public de ce qui relève de la sphère privée.

Poussons à l’extrême : l’image d’un mort, peut-elle être exploitée ? Le concerné ne peut évidemment plus se prononcer… Le droit à l’image est intransmissible aux héritiers. Alors la question, pour le juge, sera de bien saisir quelle est l’exploitation, l’intention de l’image, et si cela relève d’une information : par exemple, Mitterand sur son lit de mort. C’est de l’information. Mais le cliché le présente dans son cercle familial, avec son entourage, dans sa maison. C’est l’intimité, la vie privée. Il appartiendra à la famille de démontrer le préjudice, habituellement qualifié d’affliction, qu’elle subirait pour interdire l’exploitation de l’image. A titre d’exemple, le juge a considéré que, s’agissant de la photographie de Coluche sur son lit de mort, nul ne peut, sans le consentement de la famille, reproduire et livrer à la publicité les traits d’une personne sur son lit de mort, qu’elle qu’ait été sa célébrité. L’image d’une personne constitue un élément de sa personnalité qui mérite protection au-delà de sa mort (TGI Paris, 1er ch., 31 mai 1989 : Gaz. Pal. 1989, II, somm. p.525).

 

Négatif + : Donc, pour résumer tout cela…

Hortense Moisand : Ce qu’il faut retenir avant tout, c’est que, comme personne, j’ai un droit exclusif sur mon image et je peux en interdire toute reproduction, sauf exception relatives au droit à l’information ou à la liberté d’expression et de création. C’est le truc de base, que ce soit pour tout ou partie du corps – même s’il faut cependant que l’on puisse faire le lien entre l’image et moi, sans quoi il va être compliqué d’interdire quoi que ce soit. Je peux ensuite faire commerce de cette image, autoriser sa diffusion en définissant clairement les modalités de son exploitation. Si j’ai une notoriété, parce que je suis un sportif, je suis un artiste, je suis mannequin, etc. je peux faire valoir un droit rémunération. Si mon image fait l’objet d’une utilisation abusive, je peux demander des dédommagements. Si je suis pris en photo lors d’un évènement public, je ne peux m’opposer à la diffusion de mon image, qui relève de l’intérêt légitime du public à l’information. Et, enfin, mon image est en principe protégée dans le cadre de ma vie privée : la prise de vue effectuée dans un lieu privé peut-être sanctionnée pénalement. Voici pour les grandes lignes !

 

h0001Hortense Moisand

Hortense Moisand a été responsable juridique de prestigieuses institutions publiques (le Musée du Louve, le Musée du Quai Branly, le Palais de la Découverte) avant de réintégrer la profession d’avocate au barreau de Paris et le cabinet Constellation. C’est comme spécialiste du secteur artistique et culturel qu’elle intervient ici. 
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Illustration photographique de cet article : Hanny Naibaho on Unsplash