En photo Publié le 2 juillet 2015
Gueule d’Ange – Numéro 2 – Patrick Chauvel, William Dupuy
William Dupuy, Patrick Chauvel, photo-reporter
William, humanité du regard, patience et respect pour ses sujets, William enquête avec délicatesse et talent dans le fond comme dans la forme… Voici quelques extraits du travail de ce jeune photographe indépendant qui nous plaît tout particulièrement.
patrick, on ne présente plus ce « rapporteur de guerre », témoin des conflits les plus meurtriers de ces trente-cinq dernières années (Vietnam, Panama, Israël, Tchétchénie,…)… Un petit rafraîchissement de mémoire tout de même avec quelques clichés de ce très grand personnage du photojournalisme.
William Dupuy, le rêve déclanché,
L’histoire commence dans un ancien séminaire reconverti en pensionnat pour élèves en difficulté. Chaque nuit, une bande de garçons s’échappe du dortoir pour explorer les nombreuses pièces du bâtiment qui leur sont interdites. Un soir, l’un d’entre eux pousse une porte… et tombe sur un trésor. « C’était un laboratoire photo laissé à l’abandon, avec un vieil agrandisseur et du matériel qui devait dater de la guerre. Il y avait des toiles d’araignées partout. » William Dupuy a 14 ans. Un nouveau monde vient de s’ouvrir à lui. « J’ai proposé au directeur de l’établissement de nettoyer la pièce. Tout fonctionnait. C’est comme ça que ça a commencé. »
La suite est moins romanesque. William Dupuy ne connaît rien à la photo. « Je ne savais même pas qu’il fallait développer dans le noir ! » Alors il fonce, tête baissée. C’est sa méthode. Il écume les cérémonies de mariage dans la banlieue toulousaine, rate des clichés, affronte les railleries des copains et les doutes de ses proches.
En 1994, il fait son service militaire comme photographe dans une base navale. Rotations en hélicoptère avec les paras et prises de vue musclées lors des entraînements. La révélation. « Au début, c’était juste l’action qui m’excitait puis j’ai commencé à rêver au grand reporter qui part couvrir les conflits.» Un nom lui vient instantanément à l’esprit, celui de Patrick Chauvel, qu’il situe dans la lignée du grand Capa. « Il est là où il faut quand il faut pour servir la cause du journalisme pur, en privilégiant le témoignage. » William Dupuy s’accroche à son rêve. Il sera photo-reporter « pour raconter des histoires ». Des histoires vraies, ancrées dans la vie quotidienne.
Après une formation de base dans une école de photojournalisme, il se frotte à tous les terrains : faits divers dans la presse régionale, sujets culturels à Prague, reportages en Algérie, au Niger… A chaque endroit, il cherche à se fondre dans le décor.
« Je passe beaucoup de temps à observer et à discuter. Les gens finissent par s’habituer à ma présence ».
Puis il attend, à l’affût du moment de grâce qu’il faudra saisir au vol. « À cet instant précieux, je déclenche mon appareil en ayant la conviction de ne rien changer au cours naturel des choses. Comme si je faisais moi-même partie de l’histoire. « On pense à l’éternel débat sur l’objectivité du journaliste. William Dupuy tranche net. « Je photographie ce que je vois, avec mon oeil, ma sensibilité. Chacun doit assumer sa non objectivité, prendre du recul par rapport à l’information pour pouvoir se l’approprier ».
Parfois, les histoires qu’il raconte en images croisent la grande Histoire. Depuis 2004, il collabore avec un journaliste, Samuel Humez, sur un projet d’exposition : des portraits de résistantes qui racontent leurs souvenirs de guerre. « J’ai travaillé au moyen format et en lumière naturelle. Un vrai défi, d’autant plus qu’il fallait éviter l’effet de répétition propre à toute série. » Chaque portait est composé d’une photo et d’un texte qui se répondent et s’harmonisent, fruit d’une étroite complicité à toutes les étapes du projet. « L’idée était de faire connaître l’histoire de ces résistantes, telle que nous l’avions ressentie au moment de l’entretien et de la prise de vue ». L’exposition est prévue en mars 2007, en partenariat avec le Musée Jean Moulin et l’Hôtel de Ville de Paris.
William Dupuy collabore également avec ses pairs. En 2005, il a rejoint le réseau Picture Tank, vaste vivier de collectifs et de photographes indépendants. Il y trouve de nouvelles sources d’inspiration, s’ouvre à de nouveaux horizons. Avec une idée fixe : partir à la recherche d’histoires précieuses et les capter en témoin discret. Comme si de rien n’était.
Garibaldi-Moraval
http://www.william-dupuy.com/
Patrick Chauvel, d'une guerre à l'autre
Patrick Chauvel est fils de grand reporter, Parmi les visages qui jalonnent les souvenirs de son adolescence, dans l’environnement familial, on trouve ceux de Monfreid, Kessel ou Schoendoerffer, journalistes, écrivains, grands témoins de leur temps et des dérives de l’humanité. Ils l’ont tous dissuadé de suivre le même chemin qu’eux, mais en 1967, à 17 ans, il part pour Israël et la guerre des six jours, un appareil photo à bout de bras.
Témoin et sentinelle
« Je pensais que la photo, ce serait plus facile, plus immédiat que les mots et la littérature, de toute façon, il fallait que je sois là-bas, c’était une nécessité. J’ai tout subi, tout vu et rien compris ! »
Au retour, déception, ses images sont inexploitables. Il travaille alors six mois au labo de France-Soir pour se former à la photo et repart.
Pour le Vietnam.
« Au Vietnam, j’étais le plus jeune. Les plus expérimentés m’ont pris sous leur aile et j’ai beaucoup appris d’eux. A 18 ans, je côtoyais Larry Burrows, Tim Page et les autres ! J’avais l’âge des soldats américains, ils se confiaient à moi, ce qui m’a permis de réaliser des images, plus justes, plus proches. »
Désormais la guerre ne le quittera plus, passant de l’une à l’autre : le Cambodge, l’Iran, l’Irlande, Panama, l’Afghanistan, la Tchétchénie, …, souvent sans même rentrer à Paris, jusqu’à trois cents jours par an dans l’enfer de la guerre, tout près de ceux qui la font, au corps à corps, témoignant et se rebellant contre ceux qui l’organisent, contre la politique de l’indifférence.
« Témoin oui, mais aussi sentinelle. Je veux que l’on sache que la paix est fragile, que rien n’est acquis. Au début des années 70, Beyrouth était une ville paisible où il faisait bon vivre, j’y avais beaucoup d’amis et en 1975 tout s’effondrait. Les bombardements, le sang, la guerre totale. Nos pays occidentaux, riches et prospères, ne sont pas à l’abri d’une nouvelle guerre ; c’est aussi ce que nous disent les récents événements en banlieues. »
Ses photos du Vietnam sont publiées dans Newsweek, il entre chez Sipa Press en 1971 puis chez Sygma en 1975. Ses images font la Une des principaux médias : Time Magazine, Life, Paris Match, …Et il reçoit le prestigieux World Press.
En 1996, au moment où l’agence Sygma périclite, il s’oriente vers le film documentaire pour signer avec Antoine Novat en 1999,
« Rapporteurs de Guerre », Sherkhan production, qui recevra les honneurs des principaux festivals.
« J’avais toujours avec moi une petite caméra, je filmais les copains en action, genre clichés souvenirs, le off du métier. C’est en visualisant ces bouts de films, que j’ai eu l’idée de faire un documentaire sur les correspondants de guerre que j’ai côtoyés, parmi les plus grands photographes d’hier et d’aujourd’hui, de les faire réagir sur les grandes questions qui se posent à eux : a-t-on le droit de photographier la souffrance des autres ? Geste politique ou geste pour l’histoire ? … »
Aujourd’hui, il part à la suite de Sarah Caron, photojournaliste représentant la nouvelle génération de reporters en prise avec la guerre. Un documentaire de 52 mn consacré à une année de reportages à travers le monde.
Guerre et humanité
Patrick Chauvel exsude la sérénité de ceux qui ont tout vu, tout subi et ont fini par comprendre. Il ne cherche pas à séduire, n’en rajoute pas. Il cherche le mot juste, parle peu.
À le rencontrer, on se fait une meilleure idée du métier de photographe de guerre. On est loin de l’idée reçue du salaud qui abandonne la victime et ignore sa douleur au bénéfice d’une bonne photo. Loin du scénario mettant en scène des gens endurcis et fourbes, capables des pires vilenies entre eux, pour gagner le scoop. « Quand un soldat est blessé, immédiatement les autres le secourent, il est rare que nous ayons à intervenir, mais s’il est seul nous le secourons toujours. Combien de personnes nous avons sauvées en brandissant nos appareils photos devant leurs tortionnaires, manière de dire : si vous faites ça, le monde entier le saura !
"Notre humanité est intacte. Les années de guerre nous font reconnaître les pièges et les faux-semblants, mais face à la vraie douleur nous sommes présents, faisant l’image que la victime attend de nous et quand on le peut par une main tendue. "
Niels Sidsel
http://www.fonds-patrickchauvel.com/
Juillet – Aout – Septembre 2006
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